Napoléon, le caractère d’un homme

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« On ne gouverne pas une nation par des demi-mesures ; il faut de la force, de la suite et de l’unité dans les actes publics. »

Dans le Manuel du chef publié chez Payot-Rivages, sont réunis les aphorismes et les fragments d’une grande figure de l’histoire européenne : Napoléon Bonaparte. Militaire, général, Premier consul, Consul à vie puis Empereur des français, ce personnage historique fascine toujours aujourd’hui et compte autant d’admirateurs zélés que de contempteurs féroces. Plus que sur sa politique elle-même qui n’est pas notre sujet, nous nous concentrerons, dans cet article, sur le portrait intellectuel et moral qui se dégage de Napoléon, à la lecture de ces aphorismes. En effet, comment expliquer l’aura symbolique dont il est encore auréolé aujourd’hui si ce n’est en lisant ses propres réflexions? Comment comprendre de nos jours cette incroyable séduction dont il fait encore l’objet?

« Le moyen d’être cru est de rendre la vérité incroyable. »

Bien plus qu’une créature politique, – et le Manuel du chef est là pour nous le rappeler !- Napoléon, c’est avant tout un caractère, un caractère fort, débordant qui paraît irradier tous les aphorismes de ce court ouvrage. Son vocabulaire est simple, sans ornements et sa phrase toujours tendue vers un but précis. D’une intelligence pragmatique, ainsi que le souligne bien la préface de Jules Bertaut, Napoléon se fonde sur son expérience pour échafauder des théories qui ne sont applicables que par les conditions qui les ont vu naître. Sa vision est analytique, va du concret vers l’abstrait et s’exerce de manière mathématique pour résoudre des problèmes.

« Avec les praticiens, il n’est pas facile d’obtenir de la simplicité : les formalités du Conseil d’État empêchèrent beaucoup de simplifications. »

« Le système colonial est fini : il faut s’en tenir à la libre navigation des mers et à une liberté d’échange universel. »

Cette intelligence si particulière se déploie avec force dans les sections consacrées à l’art de la guerre et à la façon d’organiser les armées. De détails pratiques comme le nombre de paires de chaussures que les soldats doivent porter dans leur sac en considérations plus générales sur la conception des plans de bataille, les réflexions militaires de Napoléon s’exposent dans toutes leurs nuances. Une autre caractéristique de l’intelligence de cet homme d’État réside dans sa vision froide et sans affect des affaires militaires et publiques. Dans les chapitres sur la guerre, elle s’exprime par une vision essentiellement tactique de l’art de la guerre vu comme un jeu d’échecs avec des pions (cavalerie ou infanterie) à déplacer ou retirer pour déclencher une victoire.

« La science militaire est le calcul des masses sur des points donnés. »

« Le sort d’une bataille est le résultat d’un instant, d’une pensée. On s’approche avec des combinaisons diverses, on se mêle, on se bat un certain temps et le moment décisif se présente, une étincelle morale prononce, et la plus petite réserve accomplit. »

En matière politique, ce trait de caractère le conduit souvent au cynisme le plus total et à une amoralité revendiquée. Autoritaire et inflexible, la superbe de Napoléon transpire par tous les pores de ses mots et donne à voir un esprit orgueilleux, peu enclin au doute, qui souhaite mener les affaires tambour battant. Ce caractère âpre et droit le conduit souvent à exiger et à imposer sa vision du monde et l’érige en statue du Commandeur notamment, comme le montre la dernière section du recueil, dans le domaine de la politique étrangère.

« Il n’y a qu’un secret pour mener le monde, c’est d’être fort parce qu’il n’y a dans la force ni erreur, ni illusion; c’est le vrai mis à nu. »

Cette intelligence, si elle saisit vite les problèmes dans leur globalité, sait également s’adapter aux cas particuliers comme le montre le soucis constant de Napoléon de placer, dans l’administration ou à la guerre, le bon homme au bon endroit. Parfois, quelques rares accès lyriques voient le jour sous sa plume et ouvrent au lecteur une autre perspective sur le caractère de cet homme d’État au destin d’exception. A tous les amateurs de politique, ce Manuel du chef saura vous intéresser tant pour son intérêt historique que pour son cynisme pratique. Pour les autres, il permet de mieux saisir ce qu’est le bonapartisme et de mieux comprendre les enjeux politiques qui se jouent aujourd’hui autour de la revendication de son héritage.

« J’ai montré à la France ce qu’elle pouvait : qu’elle l’exécute. »

Manuel du chef, Napoléon, Petite bibliothèque Payot, 176 p., 7,50 euros

  • 13 mars 2017
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