Nases extraits…

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« Tout ce qui retient. Chante jouit suinte. Pendant ce temps, une plaque noire est creusée. Ça élance. Tout ce qui chute. Je dans tire dans me. Tout tourne. »

Commençons par une question simple mais capitale lorsqu’il s’agit de lecture: avez-vous compris le sens de l’extrait que vous venez de lire ? Non ? Ne vous inquiétez pas, vous ne souffrez d’aucune déficience intellectuelle, c’est même tout le contraire, votre santé mentale est intacte, soyez rassurés, car à l’instar des autres Extraits des nasses, cette citation ne veut tout simplement et tout bonnement rien dire. Oh, il exagère, vous dites-vous  peut-être, le recueil ne doit pas être si incompréhensible. Très bien, vous l’avez cherché : un nouvel extrait choisi au hasard de ces quelques interminables cinquante pages.

«  Trop bien connaître les ponts. Leurs dessous. Le nihilisme de notre temps. On laisse défiler. C’est ce qu’on se dit. La musique des trains des moteurs des pneus des avions, des habitudes, de l’absence. »

Alors qu’en dites-vous ? Les appréciez-vous ces borborygmes adolescents et vaniteux ? Ces phrases courtes, y a quand même du style, pourriez-vous secrètement penser. Mais hélas, s’il suffisait d’un déluge de points pour imprimer un style, la littérature ne serait plus qu’un vain jeu de ponctuation et c’est bien au contraire du style qu’on est exposé dans ce livre mais plutôt à sa contrefaçon enfantine et ratée. N’ayant rien à dire, ni à penser, l’auteur croit nous émerveiller avec une langue compassée et prétentieuse entrecoupée de hoquets ridicules sensés évoquer « le souffle du poète », je suppose…

« Elle laisse échapper son sexe par la nuque. J’ai enterré. Tout a fleuri du centre et poussé par la cime. Se mettre au point. Dos au début. Par soustraction. Nous nous brisons sur la lumière. Une jambe est plus haute que l’autre on voit la cuisse. »

Puisqu’il est question de poésie, que personne ne vienne me faire l’affront de qualifier cette prose de « poétique », ou encore d’ « hermétique » : elle est juste plate et affligeante. En magicien amateur, avec une baguette dont il ne maîtrise pas les pouvoirs, Delareux pense nous ébahir avec un charabia qui ne trompe personne. Mais, il n’en est rien, le tour ne fonctionne pas: ces Extraits des nasses sont là devant nous, comme un lapin blanc, penaud, qui ne serait pas sorti de son chapeau, consternants à tous points de vue. Pour asseoir le vôtre, je ne résiste pas à l’envie de partager avec vous ce nouvel extrait.

« Le présent ma prison. Ecrivain en état de siège. Tâche ou trace. Tout est tourné. Perdu dans une abstraction totale. Les rideaux cachent le jour, le soleil fait apparaître les graisses sur les plastiques et les verres. »

Scrupuleux jusqu’à la névrose, voire un peu masochiste, j’ai tenu à m’infliger ce livre jusqu’à la fin. Quel soulagement n’ai-je pas ressenti à la fin de cette lecture comme si un interminable et cauchemardesque repas de famille venait de s’achever ! Mais vous, heureux que vous êtes, ne vous en sentez pas obligés ! Profitez de votre journée autrement : faites-vous un bon ciné, un bon resto, que sais-je encore ? Tout pour éviter ces grimaces de poétaillon maudit qui ne provoquent au mieux qu’un haussement de sourcil agacé et au pire, une exaspération profonde qui, contrairement au livre, elle, est fort compréhensible.

« On aurait quatre laines et un cuir une capuche. Sur le chemin nous apprenons le sol. C’est une organisation en court. On se sert. Débordés. J’ai froid derrière les yeux je ne dors plus ça me gratte je me gratte. »

Extrait des nasses, Justin Delareux, Al Dante, 10 euros

  • 22 novembre 2016
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