Rákóczy, en clair-obscur

Partager

« Être le refus, le poids des roses qui sèchent dans la nuit, la sollicitude d’un sourire sur le seuil déserté. Supporter le crissement de la craie sur le tableau noir du temps. »

Quelle musique sensuelle et dissonante émane de ces métaphores synesthésiques qui font tout le délice des aphorismes de Ferenc Rákóczy ! À leur lecture, un autre univers s’ouvre où la lenteur de la pensée et la délicatesse des sentiments s’étreignent pour livrer une expérience sensible de cette noix du monde au relief si précieux.

« Celui qui suit non des traces mais des chemins, il est bien improbable qu’il se perde et plus encore qu’il se trouve. »

Comme Henri Michaux dans Poteaux d’angles, Rákóczy interpelle directement son lecteur pour provoquer doute et interrogation. Toute certitude est à bannir : ne reste qu’une errance intellectuelle et physique qui détermine notre appréhension de la vie et en exclut un sens prédéfini.

« Toute recherche de sens ne vaut que par elle-même car, tout bien réfléchi, si l’on va au fond des choses, il n’y a pas plus de sens que de non-sens, mais seulement un enfant qui se tient debout en ton milieu et te contemple comme te scruterait ta mémoire. Dors, oui, tu peux dormir tranquille… »

La rythmique soignée des phrases de Rákóczy envoûte proprement le lecteur et le plonge dans une méditation teintée de mélancolie. Une voix fait son chemin en nous, celle du poète : on ne lit plus, on écoute.

« Tu es exactement comme la vie voulait que tu sois. Nul fantôme ne peut t’enlever ce petit fanal, cette pierre nue et rayonnante. Ce chant magnétique. Le reste est sans importance. »

Cette lecture bouleverse sereinement et est d’une grande beauté. Chaque mot de chaque phrase est essentiel : nulle place pour le superflu, comme si tout y était en ordre. L’on en ressort songeur et calme avec la ferme intention de relire ces fragments poétiques un jour.

Éloge de la finitude de l’homme, expérience du chaos du monde, ces aphorismes publiés par les Éditions L’Âge d’Homme sont de véritables balises dans l’océan tempétueux de l’esprit.

Revenons maintenant sur les rives ensablées du réel et écoutez plutôt, émergeant du clair-obscur, ce conseil à la sagesse millénaire  :

« Rien n’est fini, jamais, tu le sais. Quelque chose d’autre déjà est en train de bourgeonner. »

Dans la noix du monde, Ferenc Rákóczy, Éditions L’Âge d’Homme, 96 pages, 14 euros

 

  • 31 août 2015