La proverbiale sagesse de Geoffroy de Winchester

Partager

« Donner avec gaieté.
Des visages gais rehaussent les cadeaux les plus humbles,
des visages à peine éclairés déprécient les plus grands cadeaux.
Si tu donnes tristement, tu perds tes dons et ta récompense,
Didyme, donne gaiement, tu agis non sans recueillir des éloges. »

Le Livre des proverbes de Geoffroy de Winchester est une collection unique de poèmes moralisateurs avec un titre suivi d’un à neuf distiques éclairant la sentence initiale. Ce texte marque une étape essentielle dans la littérature sentencieuse qui débouchera, quelques siècles plus tard, sur la maxime et l’aphorisme. Publié aux Presses universitaires de Rennes, ce texte, accompagné de l’excellente préface d’Étienne Wolff, nous donne accès aux fondements de la sagesse médiévale.

« Il faut affermir l’état de son esprit.
Tu laisses les caprices de ton esprit ressembler aux vents changeants,
Vesevus, tu n’es jamais stable, tu voles comme un tourbillon. »

Ce Livre des proverbes puise son origine dans le Livre des Proverbes de la Bible qui entend donner des conseils de bonne et de mauvaise conduite dans la vie et qui invite le croyant à rechercher activement la sagesse. Dans ce sillage, Geoffroy de Winchester (avant 1055-1107), originaire de Cambrai, prieur à Winchester après la conquête normande, rassemble une collection de 238 épigrammes passionnantes à plus d’un égard.

« En montant il faut craindre la chute.
Souvent tu fais une chute quand – souvent – tu te fixes un but trop élevé, Coranus ;
fais en sorte qu’une seule chute te suffise. »

Étonnamment laïc, ce texte prône la juste mesure en toute chose, condamne les vices comme l’avarice et la jalousie et fait l’éloge des vertus comme l’amitié. Cette morale, somme toute très classique, qu’il est facile de retrouver dans les Distiques de Pseudo-Caton ou dans les Sentences de Publilius Syrus que nous avions déjà présentées dans un précédent article, comporte quelques surprises comme ce distique :

« Il faut mettre de la mesure dans la vertu.
Tu sembles excessif, Chrysippus, dans ton zèle pour la vertu,
la vertu sans mesure a le nom de vice. »

Outre sa dimension morale, ce qui fait le sel de ce texte, c’est la variété de son style et l’agrément de son écriture. Comme l’auteur le précise dans sa préface, il souhaite mêler « l’utile à l’agréable », « en versant le sérieux avec le badinage ». Apostrophant un personnage en particulier, les distiques qui accompagnent les sentences initiales varient les points de vue, les complètent, forment parfois même un contrepoint comique.

« Il ne faut pas varier son discours.
Le bœuf mugit, le mouton bêle, sans nulle variation ;
toi, Faunus, tu varies toujours ton langage. »

Jusqu’à la Renaissance, les recueils d’aphorismes tirés des auteurs gréco-latins seront légions dont le plus fameux sera le Florilège de Stobée. Au XVIIème siècle encore, l’importance de l’aphorisme dans l’éducation est telle que les élèves disposaient d’un cahier, le liber locorum sententiarum, où ils notaient les sentences qui les intéressaient pour alimenter leur réflexion, comme le rappelle Jean Lafond dans son introduction aux Moralistes du XVIIème siècle.

« Il faut honorer son professeur.
Le malade est accusé de folie quand il frappe son médecin,
et toi, Melanippus, quand tu frappes ton professeur. »

Le Livre des proverbes constitue donc un témoignage historique important qui va ouvrir la voie à Érasme pour ses Adages ou encore à Montaigne pour ses Essais. Formant une véritable synthèse de la doxa morale médiévale, ce texte ne cesse de séduire par la beauté et la précision de sa langue, admirablement rendue par la traduction d’Étienne Wolff. Jugez vous-même :

« L’esprit sans foi est insondable.
L’abîme de la mer grosse est insondable,
les flots soulevés rejettent l’œil humain.
L’abîme de l’esprit perfide est insondable,
Daedalus, l’esprit troublé n’admet pas le regard. »

Le Livre des proverbes, Geoffroy de Winchester, Presses universitaires de Rennes, 144 p., 19 euros

  • 30 décembre 2022
  • 1