Un vénéneux art de plaire

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« Pour nuire invisiblement à un homme de beaucoup d’esprit qui a le cœur mauvais, amenez les discours et les situations où peuvent être mis en évidence les vices et les travers qui le feront le plus détester. »

Vous désirez briller en société, éclipser vos adversaires et entretenir votre insolente réputation ? Cette Théorie de l’ambition, écrite par Hérault de Séchelles, avocat génial et cynique du 18ème siècle, est faite pour vous ! Napoélon Bonaparte, dont nous avions déjà chroniqué le Manuel du Chef  dans un précédent article, la conseillait même à ses proches sous le Consulat et l’Empire. C’est que ce livre au contenu explosif est sorti des presses en 1802, huit ans après la mort de son auteur, guillotiné pour trahison pendant la Terreur.

« On ne fait de grands progrès qu’à l’époque où l’on devient mélancolique, qu’à l’heure où, mécontent d’un monde réel, on est forcé de s’en faire un plus supportable. »

« La société guérit de l’orgueil, et la solitude de la vanité. »

Cet opus se présente sous la forme d’un traité de facture classique mais à la charge ironique très forte. Fragments après fragments, on ne sait jamais si l’auteur se veut sérieux ou cynique et tout le plaisir de lecture se situe dans cette ambivalence délicieuse qui laisse le lecteur sceptique et quelque peu suspicieux face à l’objet qu’il a en face de lui. L’ordre du livre, quant à lui, répond à une logique précise allant des principes généraux guidant les Hommes jusqu’à leurs applications pratiques dans le monde.

« Ayez une haute idée de vos facultés, et travaillez, vous les triplerez. »

Sous couvert d’écrire un manifeste sérieux et édifiant, Hérault de Séchelles se moque ouvertement de la philosophie des Lumières très, voire trop selon lui, focalisée sur les pouvoirs de la raison au détriment du caractère passionnel de l’homme. Il y enjoint l’homme au cynisme afin d’acquérir une position plus ou moins méritée dans la société. Le dernier chapitre intitulé Logique des contractifs peut même se lire aujourd’hui comme un art du débat politique. Les conseils d’ordre linguistique y sont souvent machiavéliques et brillants et nous permettent de réfléchir au mieux à nos stratégies de discours contemporaines.

« Ajouter à ses preuves, à ses objections, et à ses réponses, d’autres preuves, d’autres objections, d’autres réponses en plus grand nombre, pour faire voir qu’il n’a presque rien vu dans le sujet. »

« Outrer l’analyse, multiplier les divisions et les distinctions inutiles. »

Facétieux, ce livre invite donc à une double lecture : une première, au premier degré, fournira des indications utiles à tout ambitieux souhaitant faire sa place dans la société mais également une seconde, plus mélancolique, qui dénoncerait avec malice le système qu’elle entend énoncer. Cette œuvre s’inscrit ainsi dans le sillage des grands moralistes du 17ème siècle et nous rappelle qu’après les Caractères de La Bruyère ou le Héros de Gracian , il est toujours de bon ton de réactualiser et d’écrire un nouvel art d’être courtisan.

« On devine le caractère d’un homme par les choses qu’il blâme ou approuve habituellement. »

Hérault de Séchelles, Théorie de l’ambition, Mille et une nuits, 2,50 euros

  • 11 septembre 2017
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