Audouard : la joie de l’impertinence

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« Donnez un bouquet de violettes à une vache, elle en fera une bouse. »

Journaliste touche-à-tout, romancier, animateur d’une émission littéraire, dialoguiste pour le cinéma : Yvan Audouard n’a pas manqué d’exprimer l’insolence de son talent à travers ses multiples activités. A sa mort en 2004, il laisse derrière lui une œuvre protéiforme, complexe, où l’art de l’aphorisme avoisine celui du conteur provençal et même du narrateur de roman policier.

« C’est au réveil que les songes s’endorment. »

Mais quelle sensibilité se dégage de sa plume d’aphoriste ? Quel portrait émerge de ses Pensées publiées par la maison d’édition Le Cherche midi éditeur en 1991 ? A la lecture de ses aphorismes, tentons de dessiner son visage, ses traits essentiels, comme vus de profil…

« On fait souvent de petites choses par orgueil et de grandes par vanité. »

Tout d’abord, ses Pensées – et il faut le souligner – sont de très belle facture. Soignées, équilibrées et tranchantes, elles ont souvent la sublime rigueur de la maxime et abordent des sujets aussi classiques que leurs formes le laissent entendre. Nous sommes bien en présence d’un travail d’artisan des mots et le soin qu’Audouard leur apporte laisse deviner une intelligence précise et humble à la fois.

« On renonce aussi difficilement à ce qu’on a qu’à ce qu’on désire. »

A ce classicisme parfois dans les thèmes et dans la forme, s’ajoute une truculence toute rabelaisienne dans l’écriture. A la frontière entre l’esprit des boulevardiers et la jouissance libertaire de la provocation, Audouard s’ingénie à ridiculiser ceux qui se croient forts ou riches alors qu’ils ne sont, à son sens, que cons et vaniteux. La connerie est, d’ailleurs, un sujet de prédilection de l’aphoriste qui décline les différentes façons d’être cons et surtout d’être le con d’un autre si ce n’est de soi-même.

« Que ceux qui disent : « Je suis peut-être un con mais… » se rassurent : ils le sont vraiment. »

« La connerie rassemble plus qu’elle ne divise : les cons, en effet, sont tellement persuadés d’avoir raison qu’ils n’écoutent jamais ce que vous dites. Ce qui leur permet d’être toujours d’accord avec vous. »

Un penchant pour la Provence et son âme si particulière saupoudrent ces Pensées de multiples rayons de soleil en accord avec la joie sereine et inquiète que diffuse ce recueil. Cette œuvre est placée aussi bien sous le signe de la méchanceté mordante qui déclenche un rire narquois que de la tendresse mélancolique qui provoque un sourire lointain.

« Si on avait la clé des songes, à quoi servirait-il de rêver ? »

Ces Pensées d’Yvan Audouard sont donc celles d’un aphoriste accompli, maîtrisant les arcanes de la langue pour donner à penser sur pléthore de sujets. Ces aphorismes sont loin d’être innocents, ils attaquent et pratiquent avec brio l’art de l’inversion des valeurs. Comme sur la couverture du livre, Yvan Audouard, déguisé en César, regarde au loin, le sourire aux coins des lèvres, nous parvient de ses mots, ce même sourire habillé de l’éclat d’un regard généreux et profond.

« Toujours envisager le pire risque d’effaroucher le meilleur. »

Pensées, Yvan Audouard, Le Cherche Midi éditeur, 72 francs

  • 4 avril 2016
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