L’élégance du désespoir
« Je n’ai pas le courage de mes opinions. Je dis simplement ce qui me traverse la rate. »
Lisses et tranchants comme des galets, les aphorismes de Frédéric Schiffter ricochent avec un gout assumé pour la provocation sur les illusions et certitudes du lecteur. Bien plus qu’un Traité du cafard très aride ou rigoureux, c’est une délicieuse entreprise de déniaisement que nous propose la maison d’édition bordelaise Finitude dans ce court opus. Moquant les manuels de vertu, l’auteur présente une vision désenchantée d’un réel dont la cruauté n’a d’égale que l’incroyable absurdité.
« On traduit « philosophie » par « désir de sagesse ». « Attrait du vide » serait plus exact. »
« C’est l’ennui qui distingue l’homme de l’animal. »
L’écriture est subtile, l’effet soigné, le lecteur ne peut que se délecter de ces sentences cultivant une décadence raffinée. D’aphorismes moraux très lapidaires en fragments plus descriptifs ou anecdotiques, Schiffter nous éblouit par sa maitrise de la langue et sa virtuosité. Abordant avec aisance une multiplicité de sujets, ce Traité de cafard n’est jamais ennuyeux et ravit toujours la curiosité du lecteur.
« Les gens font des enfants sans penser au voisinage. »
Clairement influencé par les idées de Schopenhauer, Cioran ou encore Clément Rosset, Frédéric Schiffter poursuit avec obstination son entreprise de démystification des idéaux et des illusions de l’Homme. Sa philosophie, que l’on pourrait qualifier de pessimiste à plus d’un égard, s’appuie sur la misère et la petitesse des êtres humains et des sociétés qu’ils composent. Souffrir est le propre de l’Homme qui assiste, toute sa vie, impuissant, à sa propre déchéance et constate avec amertume son existentielle inutilité.
« Je me languis ici-bas, sachant qu’il n’y a ni ailleurs ni au-delà. Métaphysicien sans arrière-monde. »
« D’une phrase, la logique du pire de Clément Rosset : Soyez impossibles, réjouissez-vous du réel. »
Si, pour ma part, je suis loin de partager les idées de Frédéric Schiffter et malgré un autoportrait souvent complaisant dans la déchéance, force est de constater le talent de cet auteur pour forger une sorte de mystique du désespoir qui élève le cafard au rang du sublime. Dandy de l’accablement, l’aphoriste aime à explorer avec une plume élégante, les tréfonds sombres de l’humain pour les ériger en véritable métaphysique. Laissez-vous donc entraîner avec joie dans les enfers de l’être, vous le verrez, au fond, dans le néant, tendez votre main et d’un doigt, caressez-les, ses antennes : le cafard.
« La supériorité ontologique de l’inorganique sur l’organique ? Le premier ne pue pas. »
Traité du cafard, Frédéric Schiffter, Finitude, 12 euros