Pour un stoïcisme complexe !

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« La vie en prise avec le sort ressemble à un fleuve en crue. Et en effet, elle est troublée, boueuse, impraticable, violente, tumultueuse et passagère. »

Si vous êtes las de voir le stoïcisme réduit à son plus simple appareil, c’est à dire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, les Sentences et fragments d’Épictète vous séduiront car ils s’attachent à rendre vivante cette doctrine souvent qualifiée de sèche voire rugueuse.

« La vérité vainc par elle-même. L’opinion le fait au moyen de choses étrangères. »

Publié aux Éditions Manucius, ce recueil a pour immense qualité de faire découvrir au lecteur un autre versant de l’œuvre d’Épictète, souvent connu pour son Manuel ou ses Entretiens. Brillamment présentés, annotés et traduits par Olivier D’jeranian, ces fragments éclairent la pensée stoïque d’une lumière nouvelle : celle de l’engagement public couplé à une vie intérieure sereine, celle d’une pensée perpétuellement tendue vers l’action.

« Ce qui revient à la cité, contribues-y par avance ; et l’on ne te demandera jamais ce qui ne lui revient pas. »

Le stoïcisme, faisant écho en cela au Nouveau réalisme contemporain, se fonde sur le constat de la neutralité et l’inaltérabilité de ce qui est extérieur à nous. Ni les événements, ni les objets n’ont de significations a priori : leurs valeurs morales intrinsèques ne sont définies que par le jugement que nous formulons à leurs endroits. Or, cette faculté de juger, Épictète insiste sur ce point, ne dépend que de notre volonté de choisir et donc de notre libre arbitre. En somme, tout homme, en tant qu’il lui appartient de choisir son jugement, est libre d’être heureux s’il tend vers le bien.

« Liberté et servitude – la première portant le nom de vertu, la seconde celui du vice -, sont toutes deux des œuvres de la faculté de choisir. Quant aux choses avec lesquelles cette dernière n’a rien de commun, aucune ne l’effleure : le sort est habituellement un tyran pour le corps, tandis que les choses qui concernent le corps n’ont rien en commun avec la faculté de choisir. Car seul n’est pas esclave, qui est libre dans ses choix. »

Loin d’être la doctrine ascétique que l’on conçoit couramment, la pensée stoïque fait grand cas de l’amitié et de son importance dans le bonheur de l’être humain, du mépris des richesses matérielles au profit d’une richesse intérieure intarissable, ou encore de l’éloge de la tempérance ou de la prudence dans la conduite de la vie.

« Au lieu d’un troupeau de bœufs, essaye de rassembler dans ta maison un troupeau d’amis. »

Si l’homme, dans son individualité, parvient à être heureux dans la pensée, en accord avec le cosmos, alors il pourra s’engager dans la cité non pour la faire fructifier matériellement mais pour l’éveiller à la philosophie. Pour Épictète, et notre époque devrait écouter plus largement sa voix, le bonheur se fait grâce et par la pensée et chaque citoyen, s’il pensait avec quelque méthode, serait plus heureux que le plus riche des rois.

« Toi, tu rendras à la cité les plus grands services, non en élevant les toits [des maisons], mais en augmentant les âmes [des citoyens]. Car il est meilleur que de grandes âmes habitent de petites maisons, plutôt que des esclaves misérables se tapissent dans de grandes. »

C’est donc une philosophie généreuse empreinte d’humanisme que nous lègue Épictète et l’ascèse stoïque, loin d’être un exercice spirituel contraignant, ne serait, en fait, que le courage de supporter humblement et dignement les infortunes de la vie. À tous les contempteurs de cette philosophie jugée sévère, lisez et relisez ces aphorismes et fragments d’Épictète qui vous feront entrevoir toutes les complexités d’une philosophie sans cesse à repenser pour lui donner âme.

« Si l’on te propose d’orner la cité avec des offrandes, offre-toi d’abord à toi-même la plus belle de toutes, je veux dire, celle de la mansuétude, de la justice et de la bienfaisance. »

Sentences et fragments, Épictète, Éditions Manucius, 10 euros

  • 8 février 2016
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