Embra(s)ser les étoiles

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« Par la lune, tu m’envoies tes lettres d’amour » dit la nuit au soleil. « Je te laisse mes réponses dans les larmes des brins d’herbe. »

Prix Nobel de littérature en 1913, Rabindranath Tagore, artiste indien aux talents protéiformes, a laissé une œuvre méconnue et dense qui se compose d’« une cinquantaine de recueil de poèmes ; de trois opéras ; de quatorze romans, de douze recueils de nouvelles, quatorze pièces de théâtre, de soixante-trois volumes d’essais […], en plus de récits de voyage et d’une autobiographie. » Au sein de cette production littéraire foisonnante, les éditions du Noroît ont décidé, pour notre plus grand bonheur, de sertir leur riche catalogue d’un petit joyau de son œuvre intitulé Les oiseaux de passage, recueil d’aphorismes composé à son retour de voyage au Japon en 1916.

« Nous sommes incapables d’admettre qu’il peut arriver à l’amour d’être vaincu. »

Inspirés de l’art du haïku où l’éternel côtoie toujours l’éphémère, où l’infiniment grand se lit dans l’infiniment petit et inversement, ces 326 aphorismes aux accents mystiques nous invitent à communier en toute joie et humilité avec l’univers alentour. La Nature sublimée par le Verbe, c’est ce que Tagore nous dévoile dans la pénombre, avec une grande profondeur et sensibilité, dans cette poésie du minuscule qui se révèle aux yeux du contemplateur attentif.

« Laisse à la vie sa beauté de fleurs d’été, à la mort sa beauté de feuilles d’automne. »

« Ne crains jamais l’instant », chante la voix éternelle. »

Les oiseaux de passage – et c’est admirable ! – sont traversés de souffles religieux très différents, du taoïsme jusqu’au bouddhisme en passant par le christianisme, et parviennent à réaliser la petite prouesse d’une synthèse proposant une vision poétique et syncrétique du monde. La totalité du recueil étant composée sur une tonalité mineure, le lecteur a tout le loisir de se laisser porter oniriquement vers ce monde où l’homme compose une harmonie avec le monde.

« Dans l’obscurité, l’un paraît uniforme ; au grand jour, il paraît multiple. »

« J’ai perdu ma goutte de rosée », dit en pleurant la fleur au ciel de l’aube, qui a perdu toutes ses étoiles. »

Tagore croit à l’unité de l’homme et de l’univers et ne cesse de le souligner à travers ses aphorismes qu’on lit comme des vers et qui traitent de l’amour, de la mort ou encore de la nature. Parfois même, et cela est surprenant, des considérations morales fleurissent sous sa plume ou des bourgeons de mythologies ploient sous les légères branches du recueil.

« Les hommes sont cruels, mais l’homme est bon. »

Quelle délicieuse et rêveuse lecture nous proposent ici les Éditions du Noroît ! Après avoir refermé ce recueil, on reste pensif, flottant, transporté par une pensée poétique qui nous transcende et je ne sais pourquoi a rejailli dans mon esprit ce splendide quatrain de Victor Hugo, qui termine le poème Booz endormi :

Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.

Les oiseaux de passage, Rabindranath Tagore, Éditions du Noroît, 116 p., 13,40 euros

  • 8 novembre 2016
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