Décoiffantes pensées !

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«Sa pensée est un pur plaisir. Elle ne féconde personne.»

Tel n’est pas le cas de la pensée du polonais Stanisław Jerzy Lec qui, au contraire, continue à vous habiter, à vous féconder, longtemps après la lecture du recueil Nouvelles pensées échevelées.

« Ne succombez jamais au désespoir : il ne tient pas ses promesses. »

Pour être tout à fait honnête, j’ai, longtemps, hésité, à écrire sur cette œuvre qui m’inspire le plus grand respect et la plus profonde admiration. Elle compte, pour moi, parmi les meilleurs recueils d’aphorismes au monde et est, à ce titre, très difficile à présenter.

C’est donc avec un émerveillement empreint d’une sincère déférence que je souhaite aborder cette œuvre capitale de la littérature aphoristique.

« Il avait l’esprit ouvert, malheureusement à tous les vents. »

Tout d’abord, Stanisław Jerzy Lec est un auteur peu connu en France et pourtant, culte en Pologne. Né en 1909 d’une famille juive, il obtient une licence de droit en 1933. A partir de 1933 et jusque dans les années 50, il met sa plume au service de magazines communistes, rejoint l’Union des écrivains soviétiques d’Ukraine avant d’être interné de 1941 à 1943 dans un camp de concentration duquel il s’échappe, vêtu d’un uniforme allemand. Déçu par le gouvernement communiste, il publie son premier recueil d’aphorismes : Pensées échevelées en 1957 qu’il complétera jusqu’en 1966, année de sa mort, pour donner naissance à ses Nouvelles pensées échevelées.

« L’homme sert d’intermédiaire entre ses propres mots. »

Ce qui caractérise le plus, à mon sens, l’œuvre de Lec, c’est cette méfiance vis-à-vis du politique dont il révèle les hypocrisies et les vices.

« Marx et Engels ont bien de la chance de pouvoir dissimuler leurs sourires ironiques dans leurs barbes touffues. »

« Quand les têtes tombent, ne baisse pas la tienne. »

Toujours vigilant face aux différentes formes d’oppression qu’elles soient sociales ou économiques, Lec se fait le chantre d’une liberté sauvage, insoumise et sans compromis. Toutes ses phrases respirent l’irrévérence et toute convention, regardée a priori comme suspecte, est démantelée d’un revers de mot.

« Certains ont l’impression de descendre de singes qui étaient dans l’arbre de la connaissance du bien et du mal. »

« L’homme forme un tout, à moins que son prochain n’en décide autrement. »

Ironiques, narquois même, tous ses aphorismes sentent le soufre et le sourire, chez Lec, loin d’être propice à la gaieté ou la légèreté, paraît, être la meilleure façon de montrer ses dents à son adversaire.

« Dans leur curriculum vitae, beaucoup passent sous silence leur inexistence. »

«Il ne faut pas chasser l’ennui avec le forces de police ! »

Rien n’est gratuit, insouciant (ou peu d’aphorismes qui constituent dès lors une respiration dans le texte) et tout chez Lec tend à l’attaque. S’en dégage ainsi une unité de ton qui, malgré la diversité de thèmes abordés, donne corps à l’œuvre et la rende cohérente.

« Dans la lutte des idées, ce sont les hommes qui périssent. »

Le scepticisme railleur et une certaine rage libertaire font, si j’ose dire, tenir cette œuvre « debout », et le lecteur sort transformé, nourri de cette lecture qui prône les valeurs qui déjà étaient chères à Lichtenberg telles que l’indépendance, la pensée en action ou encore la différence.

« Je suis pour la reprivatisation de la vie intérieure. »

Je ne peux que vous recommander, à mon tour, de courir librement et sauvagement vous procurer en librairie cet opus rédigé à la gloire ce qui est beau en l’homme : sa faculté de dire non et de douter. En place de la désespérance et de l’immobilisme actuels, écoutons au plus profond de ce 20ème siècle traversé par les guerres, cette voix nous interpeller et nous dire :

« Le temps fait son œuvre. Et toi, être humain ? »

Nouvelles pensées échevelées, Stanisław Jerzy Lec, Les éditions Noir sur Blanc et La librairie polonaise, 256 p., 10,05 euros

 

  • 4 janvier 2016