Un O.L.N.I au ciel des Belles lettres
« Il cherchait vainement un synonyme au mot synonyme. »
Un O.L.N.I (Objet Littéraire Non Identifié), c’est bien un O.L.N.I, se dit le lecteur après avoir refermé le recueil L’Aphorismose de Théodore Koenig, publié aux Éditions de la Différence. Dans le ciel d’une littérature parfois conventionnelle voire convenue, traverse parfois, à la manière d’une étoile filante, un ouvrage qui abolit toutes les frontières connues, toutes les habitudes de lecture.
« Trop de nos saint Jean Bouche d’or contemporains passent par la prothèse. »
A la croisée des chemins entre le surréalisme, Dada et CoBra, Koenig propose une œuvre d’aphorismes inclassable, géniale à certains endroits, plate à d’autres, surprenante toujours ! L’Aphorismose semble être construite sur le refus même de toute construction : tous les liens entre aphorismes sont soigneusement évités qu’ils soient thématiques ou stylistiques. La diversité de tons et de sujets évoqués fait éclater en vol la sacro-sainte unité du recueil.
« Hasard objectif, actif objet d’art : hasard objectif, hâtifs abjects d’art. »
La littérature apparaît ici tantôt comme un jeu, tantôt comme un provocation : la fameuse marquise de Paul Valery ne serait, si Koenig avait pu la dépeindre, ni sortie à cinq heures, ni marquise, ni rien du tout en fait. Sa perruque serait broyée par la plume-scalpel de Koenig, libéré de toutes sortes de conventions.
« Et je reste, Madame, cardiologiquement vôtre. »
Désarçonné par ce recueil atypique, le lecteur est attaqué dans sa logique même, sa raison à jeter à la poubelle dans un geste libertaire et libérateur. Des associations surréalistes inconscientes, de l’écriture automatique, des fragments poétiques, des maximes morales, toute la tradition littéraire aphoristique y est représentée et bousculée, moquée par une esthétique du collage dynamitant les codes habituels de l’aphorisme.
« La larme versée par un œil sec vaut peut-être toute la mélancolie de la littérature. »
Un O.L.N.I, c’est bien un O.L.N.I, se dit le lecteur après avoir refermé le recueil l’Aphorismose, hésitant entre l’impression d’avoir assisté à une gigantesque arnaque, une sorte de hold-up de la raison raisonnante et le sentiment d’être en présence d’une œuvre sublime qui remet en cause aussi bien le lecteur que ses thématiques habituelles de lecture. D’une impression à l’autre, la frontière est mince et mouvante : s’abstenir de tout jugement rendrait peut-être grâce à cette œuvre impossible à définir.
« Ce contorsionniste habile en flexion de poitrine. »
Anarchiste et corrosive, cette lecture est salutaire au sens où elle vous décrasse les yeux et vous oblige à dépasser vos façons d’appréhender un ouvrage. Et si nos grilles de lecture étaient obsolètes ? Qu’est-ce même que l’activité de lire ? Doit-elle supporter elle-aussi une remise en cause ? Comment doit-on, faut-il ou peut-on juger une littérature qui nous échappe ? Remettre en cause une littérature bien établie, c’est remettre en cause aussi le lecteur dans son confort de lecture et l’Aphorismose, remercions-la, participe par sa nature même à cette remise en question salvatrice et créatrice.
« Je suis la plaque tournante de mes propres contradictions. »
Théodore Koenig, L’Aphorismose, Éditions de la Différence, 13,70 euros