Sbarbaro : l’inventaire du monde
« En entrant dans ma chambre, l’écrivain chercha partout d’un air avide les livres qui n’y pouvaient pas manquer. Sous le coup de la surprise, il alla voir à la fenêtre. »
Semblable à l’imaginaire d’un tableau de Magritte, cet aphorisme délicat de Camillo Sbarbaro est extrait du recueil de fragments intitulé Feux Follets. Poète, cet auteur italien du 20ème siècle fut également un immense traducteur et s’adonna toute sa vie à sa passion pour les lichens dont il découvrit plus de cent espèces différentes.
« Je termine de corriger les épreuves de ma dernière compilation botanique : trente ans de recherches, cent-vingt-sept espèces nouvelles pour la science. J’ai pris part moi aussi à l’inventaire du monde. »
Chercheur infatigable, Sbarbaro n’en négligeait pas pour autant ses travaux littéraires, que ce soient ses traductions de Sophocle, Flaubert, Balzac ou encore Supervielle, et pratiquait même à ses heures oisives l’art de la brièveté. L’ascèse verbale propre à son art poétique façonne une langue simple, précise, dont la sublime aridité recèle une beauté quasiment mystique.
«Sur chaque barque, un prénom de femme : les pêcheurs se confient à la mer avec une déclaration d’amour.»
« Si la lecture de ce que tu as écrit te contente, c’est le signe que tu es vide ; si elle te déçoit, l’espoir est permis. »
Cette exigence dans l’écriture, loin d’appauvrir son auteur, est, au contraire, source de sa fécondité littéraire. A la fois mélancolique et rêveur, Sbarbaro sculpte ses aphorismes dans le marbre des siècles passés. Ses phrases sont patinées par des années de lecture classique et ses pensées, inactuelles pour la plupart, oscillent entre la sereine contemplation du monde et l’observation fine et avisée du cœur de l’homme.
« Celui qui te loue se tresse des couronnes. »
« La sagesse des proverbes est de se contredire. »
Outre ses maximes de facture classique, Sbarbaro tente de s’esquisser dans une retenue et une pudeur très émouvantes. Loin d’un portrait dessiné à gros traits, l’auteur se bégaie, se murmure au long de ce quelques pages qui nous laissent l’image d’un homme humble qui a vécu, résigné, dans l’ombre de son temps.
« Dans mes promenades d’enfant,lorsque j’arrivais dans une ville je descendais du trottoir pour éviter que le bruit de mes pas n’attire l’attention. »
« Il n’a aucun point d’appui ; c’est pourquoi il est stable. »
D’une beauté incandescente, les Feux Follets de Sbarbaro, à l’instar de l’éphémère nature, s’évanouissent avec douceur dans notre esprit mais le souvenir de leurs lumières suffisent à convoquer les astres de la sagesse. Car c’est bien de cela dont il s’agit : de cette sagesse que Sbarbaro a préféré taire pour mieux la laisser éclore.
« Il est plus facile d’écrire que de biffer ; davantage que dans ce qu’il parvient à dire, le mérite de l’écrivain est dans ce qu’il réussit à taire.»
Copeaux suivi de Feux follets, Camillo Sbarbaro, Clémence Hiver Éditeur