Le génie serein d’Augusta Amiel-Lapeyre

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« Notre âme est comme le fruit. En murissant elle se détache. »

Une immense joie doublée d’une grande admiration, voilà ce que je ressens à la lecture des Pensées sauvages d’Augusta Amiel-Lapeyre. Pages après pages, je suis conquis par son écriture si précise alliée à une grande finesse psychologique. Son altruisme, son acuité ainsi que sa profonde humanité me l’ont rendue infiniment attachante. Mais qui donc se cache derrière cette étourdissante aphoriste dont tout l’art consiste à faire rimer simplicité avec clarté ?

« Les nuances, c’est la syntaxe des sensibles. »

« La folie peut éclairer la raison à la manière de ces feux incendiaires qui projettent leurs sinistres lueurs sur tous les environs. »

Augusta Amiel-Lapeyre (1858-1944) a passé toute sa vie dans un petit village près de Carcassonne, à Villegailhenc. Son mari était organiste et elle eut trois enfants dont l’un, Denys, fut un auteur de théâtre reconnu pendant l’Entre-deux-guerres. Attentive aux autres et à elle-même, elle a passé sa vie à noter dans un petit calepin bleu ses impressions et ses observations sur le monde qui l’entourait. Quatre recueils ont été publiés dont un préfacé par Francis Jammes qui la décrivait en ces termes : « Une femme possédée par le génie de ses pensées au fond d’un village de l’Aude. Elle est arrivée à cette haute production sans effort au cours d’une vie couleur de feuille d’automne. Les yeux grands ouverts sur le ciel intérieur. »

« Les larmes que l’on montre ne sont pas les plus amères. »

« Trop chercher à briller, n’est-ce pas vouloir coiffer les autres d’un éteignoir ? »

Suivant la tradition des Maximes de la Rochefoucauld, Augusta Amiel-Lapeyre a à cœur de démasquer les vices de l’amour-propre pour mieux mettre en valeur les vertus tels que la bonté ou encore la justice. Louant la vie à la campagne, elle pose sur l’humanité un regard fin et parfois mordant qui n’est pas sans rappeler celui de Jules Renard dans son Journal. Dans ce recueil, elle s’ingénie à creuser en profondeur les mêmes thématiques plutôt que d’éparpiller son talent dans un éventail infini de sujets. L’homme est son sujet et elle fore si bien la conscience de ces prochains que des trésors de maximes en jaillissent.

« Il y a des âmes fermées à double tour qui ne donnent jamais la clé de leur serrure. Pourtant elles ne renferment rien de précieux. »

« Etre intelligent c’est comprendre toutes les souffrances. »

Très emblématique de la pensée de son autrice, cet aphorisme laisse entendre qu’Augusta Amiel-Lapeyre place la compréhension d’autrui au-dessus de tout autre valeur morale et que l’intelligence appartient plus au domaine du cœur qu’à celui de la raison. Quoi de plus juste et de plus humain que cette remarque ! Pour finir, remercions La Chambre d’échos d’avoir publié, avec le concours de ses arrière-petits-enfants, ce recueil de pensées qui donne la furieuse envie de découvrir les œuvres intégrales de son autrice.

« La maison c’est le nid des jeunes et la carapace des vieux. »

« Quand nous avons traversé une série de jours pénibles nous croyons avoir gagné une victoire ; tandis que c’est le temps qui a triomphé de notre vie. »

Un génie. Le grand mot est lâché. Un génie de l’aphorisme est là, sous nos yeux. Il ne reste donc plus qu’à lire et se taire.

« Crois à mon bonheur pour que j’y croie aussi. »

Augusta Amiel-Lapeyre, Pensées sauvages, La Chambre d’échos, 16 euros

  • 10 mars 2022
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