Beethoven : la religion de l’Art
« Sacrifions la Vie à l’Art ! Qu’il soit un sanctuaire : puissé-je vivre, même à l’aide de remèdes, s’il en existe ! »
Dans l’imaginaire collectif, le nom de Beethoven rime plus avec musique et symphonies qu’avec aphorismes. Et pourtant, au cours de sa vie, le compositeur a rédigé de nombreuses notes et un testament que la maison d’édition Buchet/Chastel a eu la bonne idée de nous présenter dans une édition commentée avec intelligence et soin.
« Pour chasser la pensée du mal qui t’afflige, tu ne saurais trouver moyen meilleur que l’occupation. »
On y découvre un Beethoven à la sensibilité épidermique, aux prises avec sa destinée, luttant contre lui-même pour se résigner, pour accepter les desseins de Dieu à son endroit. Ce Dieu qu’il invoque sans cesse dans ses fragments pour soulager sa douleur et ses misères et accepter le sort qui lui est réservé. Ce Dieu et même parfois ses Dieux auxquels ils adressent des prières pleines de révoltes, de soumissions et de contemplations.
« Dieu des forêts, Dieu tout-puissant ! Je suis béni, je suis heureux dans ces bois,où chaque arbre me fait entendre ta voix. Quelle splendeur, oh, Seigneur ! Ces forêts, ces vallons respirent le calme, la paix, la paix qu’il faut pour te servir ! »
Unique échappatoire à sa misérable condition d’homme : l’Art ! Sans lui, peut-être aurait-il mis fin à ses jours, c’est ce qu’il déclare dans le Testament d’Heiligenstadt, en deuxième partie du livre. Ce testament, d’une sublime et rare sincérité d’écriture, permet au lecteur d’approcher au plus près des émotions à fleur de plume du compositeur.
« C’est l’art, et lui seul, qui m’a retenu. Ah, il me paraissait impossible de quitter ce monde avant d’avoir donné tout ce que je sentais germer en moi. […] »
Sans l’Art, Beethoven n’aurait jamais pu exprimer ce qu’il sentait sourdre en lui, ce qu’il considérait comme des vérités éternelles. Entrecoupé de préoccupations pécuniaires et d’annotations proches du journal, ce recueil permet de découvrir un autre visage de l’artiste majeur qu’a été Beethoven.
« Ne plus jamais vivre seul avec un domestique. C’est et ce sera toujours un grand risque. Supposons, par exemple, que le maître tombe malade en même temps que le domestique ! »
Je conseillerai ces Carnets intimes à tous les amateurs de musique qui peut-être déjà les connaissent mais également aux curieux qui souhaitent appréhender le caractère d’un génie par une voie originale et pour ainsi dire inhabituelle. Si Jean-Benjamin de Laborde, au 18ème siècle, faisait déjà le lien entre musique et aphorismes ; Beethoven lui poursuit cette dialectique par la force vulnérable de son écriture.
« Voudrais-tu savourer le miel sans souffrir des piqûres de l’abeille ? »
Carnets intimes, Ludwig Van Beethoven, Buchet/Chastel, 10 euros