Achille Chavée, cet inconnu ?
« Je me suis présenté chez ma maîtresse avec un bouquet de silence. »
Cet aphorisme délicat, dont la précision et l’étrangeté rappellent un tableau de Magritte, est signé Achille Chavée, auteur belge prolifique peu connu du lectorat français. Et pourtant, cet écrivain, qui fit de l’aphorisme son mode d’expression privilégié, est considéré, à raison, comme l’une des plus belles plumes du surréalisme belge.
Né en Charleroi en 1906 et après des études de droit, il s’engage, à partir de 1927, dans l’action politique. Fondateur du groupe Rupture en 1934, il deviendra ensuite militant communiste et participera à la guerre d’Espagne dans la bataillon Dombrovsky. Revenu en Belgique en 1937, il crée Le Groupe surréaliste en Hainaut qu’il dissoudra pour fonder Haute Nuit qui s’écarte du surréalisme devenu une mode puis Schéma en 1956. Il meurt en 1969, laissant derrière lui une œuvre poétique et aphoristique considérable.
« Pourquoi perdre son temps à discuter avec l’absolu ? »
« On peut aussi se démontrer par l’absurde. »
Tout au long de sa vie, prenant ses distances avec la doxa surréaliste, Achille Chavée n’a de cesse de creuser son propre sillon dans la littérature de son temps. Méfiant à l’égard de l’écriture automatique et de ses pouvoirs révélateurs de l’inconscient, il construit une œuvre singulière et use, comme son compatriote Louis Scutenaire, de l’aphorisme pour que soient révélés les faux-semblants pernicieux de la langue.
« Il était au bout de son rouleau dans le W.C. de sa conscience. »
« La valeur n’attend pas le nombre des idées. »
Dynamitage des expressions toutes faites par le remplacement d’un mot ou l’ajout d’un autre, l’écriture de Chavée met en scène, avec humour, les apories du langage. Rire, avec gravité ou légèreté, de l’homme, de ses angoisses, de son rapport aux femmes, aux mots, au monde tel semble être le propos du poète qui fait de l’incertitude et de l’inconfort de penser une méthode pour vivre.
« Pour faire plaisir à la notion de destruction une glace se brise en murmurant un mot incompréhensible. »
« Se nourrissant le lendemain des œufs d’un cauchemar. »
Pour illustrer mon propos sur l’écriture de Chavée, j’ai cité des aphorismes issus de ses Décoctions mais son œuvre aphoristique est, bien entendu, beaucoup plus vaste et compte des recueils tels que Laetare 59 ou Au demeurant.
Alain Dantinne, aphoriste contemporain belge, dont les recueils s’inscrivent dans la lignée de ceux de Chavée comme nous l’avions déjà noté dans cet article https://aphorismundi.com/international/un-catechisme-peu-orthodoxe/, a par ailleurs, consacré des articles à l’œuvre de cet écrivain. Outre ses aphorismes, Chavée a également laissé une œuvre poétique magique et importante que je vous laisse le soin de découvrir.
Achille Chavée, cet inconnu ? Plus maintenant ! J’espère sincèrement vous avoir donné envie d’ouvrir un recueil de celui qui se définissait avec malice comme « le plus grand poète de la rue Ferrer à La Louvière » :
« L’avenir est l’arbitre de notre ignorance. »
Décoctions, Achille Chavée, Daily-Bul, 16 euros
Une réponse
[…] l’avant-garde littéraire de l’époque. De Roland Topor à Christian Dotremont, en passant par Achille Chavée que nous avons déjà évoqué lors d’un précédent article, ces auteurs ont à cœur de faire voler en éclats les codes dépassés et compassés de la […]