Entretien avec Jean-Philippe Querton, directeur de Cactus Inébranlable éditions
Aphorismundi : Comment vous est venue l’idée de créer votre maison d’édition Cactus inébranlable consacrée à l’aphorisme contemporain ?
Jean-Philippe Querton : J’aime l’aphorisme depuis toujours, peut-être même avant de savoir que c’était comme cela qu’on appelait les « bons mots », les « jeux avec les mots, la langue et le langage ». Car avant d’aimer la phrase, j’ai aimé les mots. Aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, j’ai toujours été attiré par les dictionnaires, les répertoires, les listes de mots.
Il y a quelques années, lorsque la toile devint ce qu’elle est, avec ses ressources et ses moyens de diffusion, j’ai commencé à adresser des phrases à un réseau de personnes qui a rapidement augmenté. Deux phrases par jour ; au départ, des citations, des maximes, des calembours, des impertinences d’autres auteurs avant de commencer à diffuser mes propres aphorismes.
Constatant que mes productions étaient appréciées, je me suis constitué un stock de phrases que, grâce à André Stas, on m’a invité à lire lors d’une bataille d’aphorismes organisée dans le cadre d’une manifestation intitulée La Belgique sauvage (un label derrière lequel se cachent des surréalistes, des dadaïstes, des pataphysiciens, des écrivains, des poètes, des plasticiens…) à Paris. C’était en 2011. Les organisateurs m’ont suggéré d’emporter mes textes en version livre-papier, alors que je n’avais jamais pensé à les publier. Et voilà, c’est ainsi qu’un ouvrage d’aphorismes a été bricolé, vite fait ; c’est ainsi que Cactus Inébranlable est né. Des capiteuses pensées fut le premier ouvrage publié, mais à l’époque nous n’avions pris la décision de nous cantonner dans l’aphorisme. Nous avons publié des romans noirs, des recueils de nouvelles, des chroniques humoristiques…
C’est progressivement, observant l’intérêt des auteurs et du public que nous nous sommes spécialisés, pour décider il y a peu de temps de nous consacrer (pratiquement) exclusivement à la formule brève avec douze titres publiés par an — avec une formule d’abonnement pour les lecteurs qui le souhaitent — et plus de soixante au catalogue, à l’heure actuelle dans ce que nous appelons la collection Les p’tits Cactus.
Notez également, pour être complet par rapport à la question, que nous ne publions pas que des auteurs contemporains, puisque nous avons travaillé à l’élaboration et la publication des aphorismes complets d’Achille Chavée (2019) et que nous ferons de même avec d’autres auteurs du courant surréaliste belge, avec notamment en 2021 un recueil consacré aux aphorismes de Louis Scutenaire. Et d’autres projets de réédition sont encore en vue.
Aphorismundi : Comment et sur quels critères sélectionnez-vous vos auteurs ?
Jean-Philippe Querton : Ce ne sont pas les auteurs qui sont sélectionnés, mais les recueils que ceux-ci nous adressent. Nous ne nous attachons pas à la notoriété de l’auteur, mais à la qualité des textes proposés.
Nos critères sont multiples. Nous aimons les textes irrévérencieux, contestataires, antisystèmes, mais la qualité des aphorismes peut aussi être liée à leur originalité, à la manière dont ils traitent et utilisent la langue, à la façon dont ils jouent avec celles-ci. Jouer avec la langue ne signifie pas (nécessairement) faire du calembour. Nombreux sont les auteurs qui pensent qu’un bon jeu de mots peut faire un bon aphorisme, c’est une erreur.
Nous apprécions aussi les aphorismes poétiques, de même que ceux issus d’une vague assez contemporaine et résolument moderne qu’on pourrait appeler les aphorismes narratifs. Le chef de file de ce mouvement, l’instigateur en est à coup sûr Éric Chevillard et son Autofictif qui par ses fragments narratifs raconte de très brèves histoires / fictions que j’associe à l’aphorisme. Récemment, dans cet esprit nous avons publié des auteurs comme Olivier Hervy, Pierre-Alain Mercoeur et à un degré un peu moindre, Paul Lambda qui sont dans ce mouvement intéressant et qui, en tout cas, ouvre de nouvelles perspectives.
Aphorismundi : Vous êtes également auteur d’aphorismes. Comment votre activité d’écrivain nourrit-elle vos choix d’éditeur ?
Jean-Philippe Querton : Oserais-je dire que c’est mon activité d’éditeur qui nourrit ma production personnelle en tant qu’auteur, oui, en toute modestie, c’est évident.
Mais je distingue clairement les deux fonctions.
En tant qu’éditeur, j’aime à travailler en collaboration avec les auteurs, il faut qu’ils acceptent qu’on agisse ensemble sur le projet éditorial, qu’il acceptent qu’on ne reprenne pas tout ce qu’ils proposent, qu’on modifie certaines phrases, qu’on exploite ensemble leurs fulgurances, leurs idées, leur manière de composer les aphorismes.
Lire quantité de textes me donne évidemment une belle inspiration, tenter de comprendre la démarche créatrice d’un auteur est hautement stimulant pour sa propre production !
Aphorismundi : Pensez-vous qu’il existe une spécificité de l’aphorisme belge par rapport aux autres traditions aphoristiques européennes ?
Jean-Philippe Querton : Magritte disait quelque chose du genre : « classer les artistes selon leurs origines — Wallons, Belges…— n’a pas plus de sens que de différencier les végétariens des autres ». Ce n’est pas faux, une frontière, ce n’est jamais qu’une ligne subjective, mais il n’empêche qu’il y a un élément historique sur lequel j’ai envie d’insister.
Le mouvement surréaliste en Belgique et ses nombreux représentants a engendré une génération d’auteurs d’aphorismes remarquables. Voire même plusieurs générations si l’on remet les choses en perspective. Des années 1920, jusqu’à nos jours, ce sont des dizaines d’auteurs, de poètes, de peintres, de galeristes, d’amateurs éclairés qui ont produit quantité d’aphorismes dans des revues, des tracts, des recueils parfois confidentiels et heureusement, des livres. Scutenaire, Nougé, Havrenne, Dumont, Goemans, Van Bruaene, Chavée, les frères Piqueray, Koenig, Marcel Mariën, Tom Gutt… en sont les quelques représentants. Cette pépinière a marqué l’histoire de la littérature belge et internationale.
Aujourd’hui, et c’est très bien, il existe une jeune génération de lecteurs curieux qui (re-)découvre les textes — et en particulier les aphorismes — de ces auteurs.
L’aphorisme belge, s’il existe, est donc essentiellement nourri de surréalisme, c’est-à-dire de détournements de textes, d’écriture automatique, de spontanéité, d’humour et de contestation.
Car le surréalisme EST contestation.
A la différence du surréalisme français qui a eu tendance à s’embourgeoiser, le surréalisme belge a conservé un côté potache, un peu foutraque, très inspiré par la dérision, la moquerie, la critique sociale…
Aphorismundi : Quels sont vos aphoristes préférés et pourquoi ?
Jean-Philippe Querton : Incontestablement Louis Scutenaire et Achille Chavée, si l’on regarde en arrière.
Dans la Belgique contemporaine : André Stas (dont nous avons publié trois recueils), Alain Dantinne et Patrick Henin (publié chez nous aussi) qui est un auteur à la capacité de production hallucinante et dont le propos atteint toujours sa cible.
J’ai beaucoup d’admiration pour un auteur québécois trop vite parti qui s’appelle Normand Lalonde, une grande tendresse pour Pierre Peuchmaurd (qui était également éditeur). Il y a bien sûr, pour peu qu’on le considère comme un auteur d’aphorismes, Éric Chevillard dont nous avons parlé. En France, aujourd’hui, il me semble qu’un auteur qui a tout d’un grand, c’est Paul Lambda. Longtemps confiné dans l’autoédition, nous l’avons accueilli chez Cactus Inébranlable avec bonheur. Quelqu’un qui écrit : « Ailleurs l’herbe est plus verte mais ça sent la peinture » ne peut être que remercié et publié.
Pourquoi ces auteurs ?
Parce qu’ils me bouleversent, me font frémir, me font sourire, rire, parfois, parce qu’ils manient la forme concise avec brio, parce que souvent, en les lisant, je me dis : « Qu’est-ce que j’aurais aimé écrire ça ! »
Aphorismundi : Quels sont les futurs projets éditoriaux de votre maison d’édition ?
Jean-Philippe Querton : Maintenir le cap !
Continuer à suivre inébranlablement le but que nous nous sommes fixés, à savoir, prendre du plaisir à publier et en procurer aux lecteurs.
Les propositions affluent, des auteurs nous découvrent et nous soumettent leurs textes, nous sommes ravis de constater que des auteurs d’aphorismes en langue étrangère nous sollicitent pour que nous les publiions en français. Ce sera le cas cette année, avec un très beau recueil de l’Espagnol Ramon Eder.
Nous aimerions aussi rééditer des auteurs dont les ouvrages demeurent introuvables aujourd’hui, particulièrement parmi les surréalistes belges cités plus haut.
Aphorismundi : Pour finir cet entretien, avez-vous en tête un aphorisme en particulier que vous souhaiteriez partager avec nous et qui résumerait la philosophie de votre maison d’édition ?
C’est un aphorisme profondément révolutionnaire et même anarchiste de Louis Scutenaire, une phrase que j’aime parce qu’elle donne du sens à l’acte d’écriture : « J’écris pour des raisons qui poussent les autres à dévaliser un bureau de poste, abattre un gendarme ou son maître, détruire un ordre social. »
En moins violent, je suis d’accord avec André Stas quand il écrit : « Exister, c’est insister. »
Merveilleux entretien.
En passant, un merci aussi immense qu’éternel à JPh, mais pas seulement : à son épouse Styvie itou, pour m’avoir si gentiment accueilli au sein du Cactus Inébranlable.
Je ne peux qu’encourager vivement le lecteur dans l’âme et ailleurs à se plonger, les yeux fermés mais pas trop, dans ce vaste et prodigieux univers aphoristique, ludique, poétique, mais pas que (O.K., grave incorrection qu’il convient de proscrire, dixit l’Académie française ; ici, qu’Elle me pardonne – mea culpa, mea culpa, mea maxima etc., comme dirait l’autre –, c’est juste pour écouler mon admirable stock d’expressions en « mais pas »),
Pascal Weber
bonjour
j’écris aussi des aphorismes
j’en ai fait un livre
si vous voulez le lire, merci de me contacter