Fatigues : l’éveil des mots

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« Ce qui tombe sous le sens ne se relève jamais ».

Tel est l’aphorisme qui semble caractériser l’œuvre de Pierre Peuchmaurd, poète français du 20ème siècle engagé très jeune dans les voies du surréalisme. En amoureux éconduit du langage, l’auteur n’hésite pas à tordre les mots, les briser, les découper, les rassembler pour mieux mettre en valeur les sens fragiles qu’ils portent en eux.

Le poète se fait ici savant fou et explore les limites de sa substance première que sont les mots pour donner au lecteur une expérience inédite de la langue truffée de jeux de mots et de non-sens :

« Dis-moi qui tu dors… »

« Et plus, si aspérités. »

« L’avenir, l’art à venir, la lave rit. »

Le réel est dynamité, le langage dissous : Peuchmaurd semble chercher un au-delà des mots pour dire la vie.

En dehors de cette entreprise, le poète nous livre des aphorismes très courts allant du jeu de mots subversif à la sentence mélancolique. Avec pour ligne d’horizon l’anarchie langagière, le poète n’en oublie pas moins de disséminer, au fil de son œuvre, des aphorismes aux nuances les plus diverses :

« Les moralistes épuisent la littérature, c’est ce qu’ils ont de bien. »

« On nous dit que le monde change. Il ne change pas de maîtres. »

« Ces petits blocs d’écumes : les osselets dispersés de la mer. »

Lecteur assidu de Lichtenberg, Pierre Peuchmaurd puise son inspiration dans les aphoristes surréalistes belges tels que Louis Scutenaire ou Achille Chavée et oriente ses sentences dans le sens d’une expérience singulière du langage.

Remercions la maison d’édition québécoise L’oie de Cravan pour nous avoir fait découvrir cet auteur que je ne saurai que trop vous recommander et saluons également son nom inspiré d’un aphorisme de Scutenaire clôturant cet excellent recueil :

« Les Oies de Cravan naissent des mâts pourris des navires perdus au golfe du Mexique. »

Fatigues, Pierre Peuchmaurd, L’Oie de Cravan, 228p., 19 euros

  • 13 juillet 2015
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